PAR LE CENTER FOR ESPECIFISMO STUDIES
«L’exploitation et la domination se manifestent différemment selon le contexte, mais dans tous les cas, les anarchistes recherchent une société égalitaire qui marquerait la fin des divisions de classe. L’organisation politique a pour objectif final le socialisme libertaire, une société libérée de la domination de classe et de l’exploitation capitaliste, où les gens peuvent décider eux-mêmes comment réaliser les projets qu’ils souhaitent dans la vie. Les capacités, les aptitudes et les degrés d’engagement de chacun évoluent avec le temps. C’est pourquoi l’organisation politique doit servir, non seulement de station à la minorité active, pour élaborer des stratégies et prendre des décisions pour elle-même concernant les actions collectives, mais aussi de source d’histoire révolutionnaire. »
La conception anarchiste de la société de classes n’est PAS SEULEMENT économique (i.e., revenu, richesse, etc.) ; elle est AUSSI politique/juridique/militaire (i.e., bureaucrates, politiciens, juges, etc.) ET culturelle/idéologique (i.e., langue, race, genre, etc.). C’est pourquoi nous parlons de classes opprimées au pluriel. L’exploitation et la domination se manifestent différemment selon le contexte, mais dans tous les cas, les anarchistes recherchent une société égalitaire qui marquerait la fin des divisions de classe.
Aujourd’hui, la société n’a pas un caractère révolutionnaire. Tout est organisé autour des intérêts capitalistes et de la violence d’État. Dans de nombreux espaces radicaux, les gens utilisent des méthodes individualistes sans s’identifier à l’individualisme. Pour certains, le terme « révolutionnaire » est porté comme un emblème d’honneur ou un symbole de statut. Mais le militantisme révolutionnaire, tel qu’il est conçu dans especifismo, fait référence à un engagement éthique. Cela signifie interagir avec des personnes déjà radicalisées et celles toujours en cours de se radicaliser. Dans les mouvements sociaux et les grandes organisations de masse, cela veut dire aussi interagir avec des participants apolitiques et dépolitisés. Cette interaction complexe, et sur plusieurs plans, nécessite une théorie qui clarifie la relation entre les organisations spécifiques et les organisations de masse. Especifismo fait une distinction entre ces différentes pistes d’engagement avec les termes « politique » et « social ». Et pour accomplir l’unité stratégique et tactique, l’organisation politique a besoin d’une unité idéologique et théorique. Des mouvements de masse se caractérisent par le nombre de personnes qu’ils se mobilisent et par la pluralité des forces idéologiques en jeu. Par contraste, l’organisation politique prend des décisions à partir de son propre point de vue, pour ses propres membres. Et tout ce que fait l’organisation politique ne sera pas forcément soutenu par des personnes en dehors d’elle.
Especifismo préconise «un modèle de performance» qui fait progresser une stratégie révolutionnaire à travers une éthique et un engagement militant, établissant un degré de confiance entre l’organisation politique (sous la forme de l’organisation anarchiste spécifique) et l’organisation populaire (sous la forme de la lutte des classes). Progresser dans cette stratégie implique une évaluation de nos actions. Et l’organisation politique est la source de ces normes et critiques, aussi bien en ce qui concerne les pratiques réelles et effectives que les pratiques idéales, celles du meilleur scénario.
Comment l’organisation politique peut-elle accueillir et diffuser de nouvelles informations ? Dans l’especifismo, l’organisation anarchiste spécifique détermine collectivement si une nouvelle donnée est pertinente ou non. Ces analyses, pratiques et valeurs sont renforcées par l’éducation politique, non seulement dans son contenu mais aussi dans sa forme, c’est-à-dire son organisation (avec o minuscule) et sa méthodologie.
Le plan politique de l’anarchisme ne peut lui-même rester pertinent s’il est divorcé du plan social des mouvements populaires. Par conséquent, le dualisme organisationnel est une conception stratégique du développement révolutionnaire dans deux directions complémentaires et collaboratives. Avec cette conception de l’organisation, l’anarchisme peut rester en contact avec ce qu’on appelle « le vecteur social », c’est- à-dire les grands mouvements de masse de l’époque actuelle et du lieu réel. L’insertion sociale consiste à être présent dans ces mouvements sociaux larges, pour partager des compétences, des analyses et des nouvelles, mais sans imposer un agenda politique dans un espace pluraliste. Cela suppose également d’apprendre des autres qui sont également engagés dans le mouvement. Au cours d’une mobilisation sociale ou à l’intérieur d’une organisation populaire, lorsqu’une minorité active partage des affinités pratiques et accepte de travailler ensemble, il est essentiel que les anarchistes se présentent de manière responsable, efficace et organisée.
Sur le plan social, insister sur les actions spontanées peut être autoritaire dans la mesure où cela pousse les gens, consciemment ou non, à être désorganisés. Cela va à contre-courant de la liberté autogérée, conçues par l’anarchisme. L’organisation est fondamentale pour l’action collective. Ceci est également vrai pour les militants révolutionnaires, pour les mouvements de masse et pour la défense de l’action directe contre les forces réactionnaires de la classe dominante.
Les militants d’une organisation anarchiste spécifique ne participent pas à la politique comme un passe-temps et ne comptent pas sur le travail révolutionnaire pour s’amuser. Le militantisme consiste à faire ce qu’il faut pour faire avancer un programme d’action directe. D’un point de vue individuel, même dans une organisation où les décisions sont prises collectivement, il peut sembler problématique que certaines personnes se retrouvent en minorité lors d’un vote. Cependant, la perspective de l’organisation spécifique se distingue car elle ne progresse que dans la voie décidée par ses participants. Sa trajectoire est uniquement celle de l’action collective, et non celle des vœux pieux, des actes individualistes ou de la force coercitive. Selon ce rapport des militants à leur propre degré d’engagement, ce ne sont pas des individus aléatoires qui doivent « accomplir des tâches qu’ils n’aiment pas beaucoup » car lorsque l’organisation politique dit « nous », c’est pour faire référence au plan politique. Ce « nous » du plan politique est distinct du « nous » du plan social. Et le dualisme organisationnel est un outil qui nous permet de comprendre qui nous sommes.
Il y a des organisations au sein desquelles rien ne change jamais. Elles refusent d’interagir avec des personnes ayant des origines idéologiques différentes, et au fil du temps, cela les éloigne de la lutte des classes. Finalement, cet « anarchisme » de façon personnelle se concentre entièrement sur son propre perfectionnement, le raffinement de son idéologie et la croissance de ses membres. Mais ces pratiques sont sectaires, peu importe leur caractère idéologique. L’organisation anarchiste spécifique ne doit pas être une bulle qui protège ses membres des changements apportés par les forces de « l’extérieur ». Elle ne doit pas seulement se préoccuper de sa propre organisation mais également nourrir le mouvement sur les plans politique et social. Il s’agit de voies parallèles menant aux mêmes fins. Cela suppose un engagement ferme envers les espaces pluralistes et les mouvements de masse, tout en défendant la présence d’un anarchisme politique, organisé et actif. Mais cela veut aussi dire que l’on ne s’engage pas avec tout le monde sous prétexte de les convertir à l’anarchisme. Les personnes de notre communauté ne sont pas des simples exécutants sans capacité de penser par elles-mêmes. La présentation des idées de l’especifismo aux gens est la seule façon de leur donner l’opportunité de déterminer leur propre relation à ces idées, selon leurs propres termes.
Alors que certaines formes d’action et d’organisation reproduisent le travail social du gouvernement, dans l’especifismo, le mot « travail » fait référence aux activités de l’organisation politique, et le mot « social » fait référence au lieu de ce travail : sur le plan social. Les militants d’Especifismo sont des membres de base de divers groupes populaires (syndicats, écoles, associations de quartier, etc.). Dans ces espaces, ils participent à l’action directe et articulent des politiques libertaires. Cependant, l’insertion sociale n’est pas l’acte de préfigurer (O majuscule) les organisations et de les amener à certaines croyances et valeurs. Elle fait référence à l’ensemble du processus de développement de relations et d’interaction avec d’autres personnes dans la communauté.
Pour certaines tendances socialistes, la croissance de la Gauche, par le biais de l’adhésion à un parti et l’accumulation du pouvoir politique dans l’État, est une démarche nécessaire dans un processus révolutionnaire. En revanche, selon la stratégie d’especifismo, la seule façon de générer une rupture révolutionnaire qui transformera la société est le développement organisé d’un pouvoir populaire capable de détruire les institutions du capitalisme et de l’État. Contrairement à certaines tendances démocrates-socialistes ou marxistes, l’especifismo n’est pas un projet pour l’unité de la Gauche mais plutôt pour le pouvoir populaire. D’après cette perspective, la gauche est un regroupement de tendances sur un plan composé (politique-social) où une certaine unité est parfois possible et pratique. Cependant, cette unité n’est pas idéologiquement spécifique puisque les groupes « de gauche » ont des idées différentes et des politiques qui en découlent. Cette unité n’est pas non plus populaire puisqu’elle ne représente qu’une petite minorité de la société.
Le pouvoir populaire doit être capable de défendre son caractère libertaire contre les forces réactionnaires, et les mouvements de masse doivent être autonomes pour éviter la cooptation et maintenir leur élan militant. Dans un contexte donné, cela signifie qu’il faut fonder l’unité du plan social sur une stratégie stricte, visant à atteindre des objectifs à court et à moyen terme. Par contre, le plan politique, qui repose sur une affinité idéologique anarchiste, peut maintenir une orientation stratégique plus générale et à plus long terme. Ainsi, bien que des objectifs strictement définis représentent une forme de gradualisme, ils se distinguent du type de gradualisme qui se sert de l’État ou du parti pour agir comme un parapluie qui couvre de multiples mouvements autonomes. Ces efforts de « big tent » essaient de regrouper sous une seule marque la pluralité des luttes locales, déjà nombreuses dans la société d’aujourd’hui.
A la question « que signifie ‘gagner’ ? », la réponse varie en fonction de la personne interrogée, de son lieu de résidence, de ses conditions de vie et de celles des personnes de sa communauté, de ses conditions de travail, de ses soins de santé, de son logement, etc. Cette multiplicité de luttes et d’acteurs libertaire est une sorte de gymnase révolutionnaire. Ainsi, les actions directes que nous menons pour atteindre des objectifs à court terme sont la gymnastique révolutionnaire pour soutenir le développement d’un pouvoir populaire capable de mettre définitivement fin à la lutte des classes dans toutes ses formes.
La transformation sociale n’est possible que par l’organisation populaire, celle-ci reste aujourd’hui l’œuvre des classes opprimées à travers tout le monde ainsi que le projet de toutes les tendances socialistes véritablement révolutionnaires. En ce moment, il est évident que tout le monde n’est pas de notre avis. C’est la raison qu’on ne vise pas l’abolition de tout le système et toutes ses structures le plus rapidement possible, même si cette abolition fait partie de la stratégie à long terme. La libération des classes opprimées n’est possible qu’à travers leur propre organisation et leur autogestion, et non en votant pour un parti ou en étant contraint à l’effondrement de la société par des acteurs avant-gardistes qui tentent d’accélérer le passage de la société de classes à la société autogérée.
Le militantisme est une action intentionnelle visant des objectifs particuliers. Militer requiert une destination. On milite pour quelque chose, vers quelque chose. L’organisation politique a pour objectif final le socialisme libertaire, une société libérée de la domination de classe et de l’exploitation capitaliste, où les gens peuvent décider eux-mêmes comment réaliser les projets qu’ils souhaitent dans la vie. Cependant, pour l’organisation populaire, les objectifs sont liés à des changements réels, matériellement pertinents, dans la vie réelle de toutes les personnes touchées par la lutte. Cette hyper-spécificité de temps et de lieu doit s’orienter autour du besoin, et non de l’idéologie. Parfois, cela peut signifier qu’il faut suivre l’exemple d’autres personnes qui sont les plus touchées et qui ont la connaissance la plus intime d’un site ou d’une forme de lutte particulière. De même, nous devons reconnaître que les engagements sont vécus par les militants individuels, et non de manière abstraite. Les capacités, les aptitudes et les degrés d’engagement de chacun évoluent avec le temps. C’est pourquoi l’organisation politique doit servir, non seulement de station à la minorité active, pour élaborer des stratégies et prendre des décisions pour elle-même concernant les actions collectives, mais aussi de source d’histoire révolutionnaire afin que la connaissance et le progrès de nos luttes ne se perdent pas d’une génération à l’autre.